Efflorescences sanglantes

Par Eric Clémens, philosophe et écrivain


Que faire des massacres désacralisés qui cependant hantent toujours nos mémoires parce qu'ils ne cessent de préfigurer des futurs toujours possibles ?

Rachel Silski se pose cette question en artiste, en artiste peintre : elle l'insère donc dans la question de l'art aujourd'hui, de l'art tout aussi désacralisé, au-delà des transgressions épuisées... Que faire de la guerre dans l'art ou de l'art face à la guerre ?

Si l'un comme l'autre ne sont plus sacrés, s'il ne suffit plus de montrer des images pour conjurer leur sort, que faire sinon scruter, prélever transformer leurs traces ? Naguère, au hasard d'une incursion dans la région de Furnes, les coquelicots rouges qui peuplent les champs dépeuplés de la guerre 14-18 l'auront littéralement frappée : sans doute est-ce un de ces commencements de l'art comme de toute création ou de toute recherche que d'être frappé par un surgissement imprévu, un dehors qui interloque et provoque. Les coquelicots la regardent : voilà un avant-geste pour le peintre !

La suite est devant nous : ce regard des choses, ses gestes de peindre l'auront transfiguré en traces indélébiles pour que leur frappe tracée, à notre tour, nous frappe de stupeur. Comme autant de « Brisures de paysages », selon le titre qu'a pu leur donner l'artiste, ces traces, prises dans la sauvagerie de traînées, de taches et d'éclaboussures noires et rouges, barbelés ou coquelicots à peine reconnaissables, laissent apparaître la violence de la boue, du fer, du sang et de la mort. A nous de les voir pour entrevoir ce que nous, les humains, ne cessons de faire : la guerre...